Des plantes tinctoriales en hiver ?
Dans le jardin d’hiver, lorsque les arbres commencent à perdre leurs feuilles et que les fleurs se font rares, quelques plantes font de la résistance. Certaines égayent le paysage de leurs baies, d’autres apportent un peu de verdure avec leurs feuilles persistantes…Les plantes tinctoriales d’hiver, résilientes et généreuses nous offrent la promesse de couleurs vibrantes. Des couleurs insoupçonnées dans un paysage souvent dominé par les tons neutres.
Dans cet article, je vous emmène au cœur de cette palette hivernale à la découverte de mes deux plantes tinctoriales favorites en cette saison froide. Malgré leurs caractères distincts, elles sont unies par leur capacité à égayer nos créations textiles même lorsque la nature semble endormie.
Prêts à vous laisser charmer par ces trésors cachés de l’hiver ?
Le troène, une des plantes tinctoriales d'hiver insoupçonnée
“Plante à mémé” par excellence, le troène embellissait les haies de nos grands-parents de son délicat feuillage vert légèrement vernissé… Parfois même nous sentions le parfum suave de ses délicates petites fleurs blanches. Mais bien souvent adeptes du taille-haie, les dits-grands-parents nous privaient par là-même d’un trésor que l’on ne soupçonnait pas : les baies !
Heureusement, tout le monde n’est pas ami avec les taille-haies, et le troène est également un arbuste que l’on peut avoir le plaisir de croiser à l’état sauvage dans nos forêts ou aux abords des chemins de campagne. Alors, laissé à son état naturel, quand l’automne arrive, les fleurettes blanches poursuivent leur cycle de vie et donnent naissance à des petits fruits. Les baies de troène, qui persistent sur les branches tout l’hiver sont un véritable trésor pour les oiseaux à une période où la nourriture se fait plus rare.
C’est un vrai bonheur de découvrir au détour d’un chemin, ce petit arbuste presque nu, qui arbore une multitude de grappes de baies rondes, brillantes, d’un noir intense aux reflets presque bleutés.
Et c’est aussi un véritable plaisir pour la teinturière que je suis. Le plaisir de se salir les mains en récoltant les baies. De les choisir délicatement en papillonnant parcimonieusement d’une branche à l’autre et d’un buisson à l’autre afin de ne pas dépouiller l’arbuste de ces précieuses ressources nourricières pour les oiseaux. Le plaisir de profiter d’une des fabuleuses plantes tinctoriales d’hiver.
Une fois récoltées, ces baies seront écrasées et mises à macérer plusieurs jours avant de passer à la casserole pour libérer leurs précieuses molécules colorantes pendant la décoction. Des aromes fruités s’échappent alors de l’atelier tandis que le bain de teinture vire du rose au bleu en passant par le mauve. Mais attention, il ne faut pas se fier à ses délicieuses odeurs de confiture, car la baie de troène est toxique pour les humains et ne doit pas être consommée.
La décoction refroidie et filtrée, la voilà prête à recueillir les fibres textiles préparées…
Les molécules colorantes des baies de troène sont malheureusement peu stables à l’état brut. Un nuançage des fibres après teinture est nécessaire pour assurer la bonne tenue des couleurs, ce qui a pour effet d’en modifier les tonalités. C’est pour cela que je ne pourrai pas vous proposer de foulard mauve avec cette teinture (même si ce ton est superbe !) car il ne serait pas résistant dans le temps.
En revanche, le troène offre aux foulards de soie, de coton ou de laine de magnifiques tonalités allant du bleu au vert en passant par le gris-bleuté et le vert de gris. Une palette lumineuse de tons froids parfaits pour la saison hivernale.
L'aulne, une plante tinctoriale d'hiver majestueuse
L’autre plante que j’adore utiliser l’hiver est un arbre. Un grand arbre majestueux de nos forêts : l’aulne. Mais l’aulne est caduque, il perd donc ses feuilles l’hiver… Qu’allons-nous pouvoir utiliser pour teindre alors ?
Quand il ne reste plus de feuilles, il reste parfois encore les fruits ! Et oui, c’est encore de fruits que nous allons parler. Mais il ne s’agit pas de baies cette fois. Connaissez-vous le fruit de l’aulne ?
L’aulne nous offre deux types de fruits : les cônes et les chatons. Tous deux peuvent être utilisés indifféremment pour teindre naturellement. On peut les cueillir directement sur l’arbre, mais il est tellement amusant de les ramasser au sol. Cela donne l’occasion d’une sortie en famille pour aller “chasser les cônes”.
Leur avantage est qu’une fois bien séchés, ils se conservent presque indéfiniment ! J’ai réalisé mes teintures d’aulne de cet automne grâce aux cônes ramassés l’hiver dernier..
Cette année malheureusement, je n’ai pu en ramasser que très peu à cause des tempêtes qui se sont enchaîné cet automne, les cônes sont presque tous tombés au sol à une période encore bien trop humide et beaucoup ont moisi avant de pouvoir être ramassés…
Il y aura donc peu de foulards et d’écharpes teints à l’aulne l’année prochaine, mais il en reste encore quelques exemplaires de cette année présents en boutique.
L’aulne offre des tons chauds allant du beige à l’ocre. Ses nuances sont variées en fonction de la fibre qui le reçois et du nuançage après teinture mais toutes ont en commun cette douceur chaleureuse.
Je le trouve particulièrement vibrant sur le coton fin des grandes étoles en coton bio.
Il peut également donner des tonalités de brun qui s’accordent particulièrement bien avec les empreintes botaniques, comme sur ces housses de coussin en tissu ancien imprimées de feuilles d’Hydrangea et dont l’arrière est teint à l’aulne.
L'hiver, une saison morte pour les plantes tinctoriales ?
Il existe de nombreuses autres plantes tinctoriales d’hiver dont je n’ai pas parlé ici. La Ronce évidemment, qui a prêté son nom à ma marque et qui, quelle que soit la saison a des couleurs étonnantes à nous offrir. Il existe également d’autres baies d’hiver aux propriétés tinctoriales intéressantes comme celles du Mahonia. On peut aussi utiliser les écorces de nombreux arbres de nos forêts et jardins dont on peut profiter au moment de la taille hivernale. Ou encore tout simplement, les feuilles et les plantes que nous avons pris le soin de faire sécher à la belle saison…
Et n’oublions pas non plus les trésors cachés dans nos cuisines et qui ont bien des merveilles à nous offrir avant de finir au composteur. Mais c’est ici une autre aventure que je vous raconterai dans un prochain article !
De quoi teindre tout l'hiver alors ?
Pas forcément.
Pour moi, l’hiver invite à l’apaisement. Il nous invite à ralentir son rythme et à profiter de moments chaleureux pour se ressourcer. C’est donc tout naturellement que j’accueille aussi ce temps tel qu’il est en attendant de reprendre les productions à un régime plus soutenu une fois la douceur et les bourgeons revenus.
Alors que nous clôturons ici l’exploration de ces deux plantes tinctoriales d’hiver, une évidence s’impose : la nature ne cesse jamais de nous émerveiller, même au cœur de la saison la plus austère.
Le troène, l’aulne, la ronce et tant d’autres plantes, fidèles compagnons de nos jardins et chemins, nous rappellent avec discrétion que chaque saison recèle son lot de trésors, prêts à être révélés par les mains habiles des artisans et des amoureux de la nature.
Que vous soyez passionnés de teinture végétale, jardiniers en quête de nouvelles sources d’inspiration ou simplement curieux des merveilles que la nature peut offrir, rappelez-vous que même lorsque le paysage semble endormi, les plantes tinctoriales sont là, silencieuses et résilientes, prêtes à partager leurs secrets de couleurs.
Chaque moment de l’année nous donne l’occasion de célébrer la beauté, la diversité et la générosité de notre monde végétal, afin que nos créations portent toujours l’empreinte unique et inimitable des saisons qui les ont inspirées.
Hâte de découvrir la chimie de la nature en deçà de ce qu’elle offre aux yeux et peut-être un jour de visiter l’atelier de celle qui la met en œuvre 😊!